vendredi 17 mars 2006

Adore, now

Gloutonnons, gloutonnons, absorbons jusqu'à plus-faim, engloutissons, achetons une motobineuse pour papa, offrons une cafetière stroboscopique à maman, et le dernier CD de Souchon en duo avec Cannibal Corpse, avalons et cavalons dans les supermarchés, minimarkets autofictifs, cachetonnons à la sauce piquante, écoutons les choix de la fnac, et le dernier livre de Nourrissier remixé par les Chemical Brothers, ramonons nos moignons pour en faire des marges arrières. Avec carrefour, je positive. Au champ : la vie la vraie. Et, en attendant le messie, recyclons les mots de Theodor Adorno (1903-1969):


"De même qu’ils veulent toujours ne rien manquer, de même les clients de la société de masse, ne peuvent-ils rien laisser passer…. Alors que le mélomane du XIXe siècle se contentait de voir un seul acte de l’opéra, en partie pour cette raison barbare qu’il ne voulait pas abréger son dîner pour un spectacle, la barbarie est arrivée entre-temps à un point tel qu’elle ne parvient plus à se rassasier de culture. Tout programme doit être avalé jusqu’au bout, tout best seller doit être lu, tout film doit être vu pendant sa période de plus grand succès, dans la salle d’exclusivité. La masse de ce que l’on consomme sans discernement atteint des proportions inquiétantes. Elle empêche qu’on s’y retrouve et, de même que dans un grand magasin on se met en quête d’un guide, la population, coincée entre tout ce qui s’offre à elle, attend le sien".


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mercredi 15 mars 2006

Paratonnerre


Heureux le fouineur qui tombe au détour d'un tour sur un aphorisme de Lichtenberg. Exemple : "Rien ne contribue davantage à la sérénité de l’âme que de n’avoir aucune opinion."

Sur Lichtenberg (1742-1799) : philosophe, encyclopédiste, bossu, physicien allemand qui traqua les secrets de l'électricité. As de l'aphorisme et de l'ironie, célébré par André Breton dans son Anthologie de l'humour noir, Lichtenberg remplissait ses cahiers de bribes et d'esquisses. Une pensée en forme de pointe, comme une décharge électrique.

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mardi 14 mars 2006

Noirs de monde

Nous sommes des sommes.

Au gré des périples et des rencontres, les membres du groupe zéro (les imaginaires et les autres) ont appris à donner la parole à leurs dizaines de colocataires mentaux. Nous avons arpenté des livres (Mille plateaux, Nadja, Americana, La Vie mode d’emploi…), ébauché des tracts, dérivé psychogéographiquement, disséqué des herbiers, été noirs de monde, collé des affiches, tenté de concilier les leçons de foot du Hollandais Johan Cruyff et de l’Ukrainien Valeri Lobanovski, nous avons tremblé devant les multiples possibilités (tiroirs, calembours, télescopes, jeux, chausse-trapes, clés, archéo-étymologie, etc.) de mots comme « essaim », « trac », « foule », « cartographie », « vide-grenier », etc.

Après tous ces conciliabules, nous avons bu une bière, fait une liste de courses et publié un ouvrage.

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vendredi 10 mars 2006

Nous sommes tous des brigadiers




Il y a des rencontres, entre deux verres de bière, qui vous mettent par terre. Nous étions mercredi soir en train de bavarder, entre compagnons, dans un rade parisien, du côté de Ménilmontant (le Babel café, où il se passe toujours quelque chose) quand un hurlubonhomme vint rompre le ronron de nos conversations. Le gugusse était minuscule, moustache à l'ancienne, une énorme casquette en guise de paratonnerre, et de tout petits yeux fiévreux qui roulent dans tous les sens, les yeux de celui qui trame des gags prophétiques. L'homme déblatère à la vitesse d'un shérif. Son débit nous prend de cours : "je suis le chef de la brigade, je travaille pour la police de l'univers, la brigade, 7-7-7, police de l'univers". On commence à goguenarder, encore un sorcier de comptoir, on sourit poliment. Certaines de ses phrases sont inaudibles. Sur le ton de la confidence, il nous lâche : "je suis là en sous-marin, 7-7-7, j'ai beaucoup d'ennemis, la brigade a beaucoup d'ennemis, heureusement, la police de l'univers est là pour nous libérer." Et on se prend au jeu, on demande des précisions. On aimerait en savoir plus sur le 7-7-7. L'homme - il s'appelle Aldo - veut nous enrôler. "Vous êtes de la famille, les gars, 7-7-7, police de l'univers ", assure-t-il. L'un d'entre nous est affublé du grade de "capitaine". Aldo, qui se définit comme "chef des brigadiers", s'en prend ensuite aux "vieux, ceux qui ont le pouvoir, les vieux c'est de la racaille, il faut s'en débarrasser". Aldo n'aime pas trop l'Etat. La police de l'univers a le souffle insurrectionnel d'une jeunesse qui refuserait de se démettre, même si son porte-parole a largement dépassé la quarantaine. Après nous avoir répété une dernière fois que "la police de l'univers, 7-7-7, a beaucoup d'ennemis", Aldo salue d'autres tablées - c'est un habitué - et disparaît dans Ménilmontant. On se regarde, interloqués, prets à le suivre pour intégrer la police de l'univers.

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PS : on s'est dit que l'aventure ne pouvait pas s'arrêter là. Après quelques recherches sur internet, le lendemain, on a retrouvé la trace de notre prophète. Son nom de scène est Aldo Vegas. C'est une légende des nuits interlopes. Notre brigadier serait poète, vendeur de couteaux, fou, chanteur, imposteur... Un site lui est même consacré. On y parle, bien sûr, de police de l'univers. Et de 7-7-7. C'est là.

jeudi 9 mars 2006

Train numéro

J'entre dans le TER 91009, voiture 16, place 11 à 78. Je m'installe dans un compartiment vide de 8 places. Place n°46, dans le sens de la marche. Sur la vitre extérieure est gravé : (en haut) BOUSSOIS - 10 A 79 - SECURIT (bas intérieur) SECURITE - AIV 02-01 (bas extérieur) SECURITE - AIV O5-00
Sur les supports à vêtements de verre marron : SECURITE - V.T.F. 01-82
Sur les deux portes du compartiment : PARSOL trempé - Saint-Gobin Vitrage - AE 10-81
Sur la fenêtre côté couloir : SECURITE - AIV 00-05
Au-dessus de la fenêtre du compartiment est inscrit en caractères blancs sur fond vert : Issue de secours - Brisez la vitre - à l'aide du marteau
Un shéma explicatif en cinq images de couleur suit ce conseil.
Au-dessus de la porte double du compartiment deux thermomètres sont dessinés et encadrent un bouton. Le thermomètre de gauche est bleu, celui de droite est rouge. Sur le bouton se trouve un point blanc. Le point blanc voisine avec le bas du thermomètre rouge.
J'ai froid, le chauffage ne fonctionne pas.

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lundi 6 mars 2006

Inculte


Dans son dernier numéro (janvier 2006), Inculte, revue littéraire et philosophique, propose un dossier sur "la récupération". Pas d'hystérie ici. Les textes sont retenus. Il y a de la détermination réformiste dans cette revue, mais le docte ton de certains passages peut agacer, notamment dans l'introduction. Exemple : "la récupération est la répétition en tant qu'elle altère la proposition d'origine, qu'elle la recontextualise dans une économie différente de celle de son énonciation ou de sa présentation premières." Ici ça sent les fiers diplômes, la prison universitaire et les années passées à policer une thèse. Heureusement, un peu plus loin, un texte de Mathias Enard détourne avec malice les formes du discours universitaire.

On lit dans Inculte des choses respectables. La revue défend le droit à l'interprétation, à la récupération, et tape avec précision sur le concept d'idée originelle, idée "à l'abri des autres", vieille lune de tous les fanatiques et autres adorateurs de dadame pureté. Olivier Rohe écrit : "Il n'y a que des copies, des idées imbriquées les unes les autres, un tas de broussaille indémêlable. La paternité d'une pensée n'est que fiction. Les idées naissent sous X." Puis, concluant son article, il dit : "La déploration de la récupération qui se joue sur le terrain de l'interprétation et de la trahison, démontre une domestication de la vie. Ne pas tolérer des interprétations non conformes; sanctionner la circulation et prévenir le risque du dévoiement; déplorer l'existence du temps et le vivre sous le signe de la rétention : toutes ces postures qui motivent le procès de la récupération n'expriment, in fine, qu'une passion triste. Une passion pour l'ordre." Là on se dit qu'on a bien fait d'ouvrir Inculte.

On trouve plein d'autres choses dans Inculte, la réédition d'une interview de JG Ballard, un "Manifeste pour un cinéma violent", de 1968, signé Philippe Garrel, et deux textes de fiction. Courez chez les incultes.
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