mardi 27 décembre 2005

A la Soupe !

Philippe Soupault. Photo : Man Ray

Quand le besoin de souder les rangs se fait sentir (mauvais temps, désertification, guerre, os, etc.), certains membres du groupe zéro se donnent rendez-vous dans le même livre. Il s’agit pour chacun de lire le même ouvrage au même moment que les camarades, on échange des impressions de lecture, on devise, on confronte. But du jeu : fabriquer une cabane commune.

Ces opérations de lecture simultanée ont débuté il y a un an. Il y eut d’abord La Vie mode d’emploi de Georges Perec (1978) puis La Mitrailleuse d’argile de Viktor Pelevine (1997). En ce moment, deux membres du groupe lisent Les Dernières Nuits de Paris de Philippe Soupault (1928).

Dans ce court roman, le narrateur passe ses nuits à déambuler dans Paris. Il y croise régulièrement une femme, Georgette, mi-fée mi-pute, qui, « avec son allure d’oiseau » rappelle la Nadja d’André Breton. Nadja commençait par ce questionnement : « Qui suis-je ? » Le texte de Soupault s’ouvre lui aussi sur une hésitation : « Elle souriait si drôlement que je ne pouvais m’empêcher de regarder son visage lunaire et peut-être que, malgré moi, je répondais à son sourire comme l’on répond à un miroir. » Nadja-Georgette, presque même combat : deux silhouettes que l’on piste pour y trouver notre propre identité.

A défaut d’une mystérieuse passante, il suffit parfois de suivre les courbes d’un fleuve. Dans le roman de Soupault, la Seine est partout. Elle serpente entre Georgette et le narrateur, elle enserre ce dernier dans ses boucles : « La Seine roule ainsi périodiquement pour ceux que l’amour, la crainte, la religion ou la folie étouffe, des sentiments qui sont de puissants narcotiques. » La Seine est un boa qui nous endort.

C’est dans ce contexte que je suis tombé sur un entretien accordé par Philippe Soupault au Magazine littéraire en 1968. Loin des clichés sur sa rupture avec André Breton (cris et châtiments, assiettes qui volent, etc.) Soupault affirme que son amitié pour le patron du surréalisme n’a jamais failli. « Je n'ai pas cessé de voir Breton quand je passais à Paris », dit-il, ajoutant : « ll était le codificateur. (…) Et le surréalisme n'a pu connaître la fortune qu'il a connue, prendre une telle importance que parce que c'était un travail d'équipe : la "centrale surréaliste" n'était pas un vain mot. Mais Breton était le trait d'union. Il avait un sens de l'amitié incomparable (…)»

On se dit : quel gentleman. Chapeau soupe. Même si le ton des Champs magnétiques, coécrit avec Breton, doit beaucoup à Soupault, l’élégant bonhomme se tient à distance, coûte que coûte, de l’histoire littéraire. Cette retenue l’a effacé des mémoires. Les manuels scolaires se trompent quand ils font de Breton un pape et de Soupault un sous-pape, voire une simple soupape.

Toute la Soupe que l’on aime transparaît dans cet entretien : son flegme, ses réserves, sa retenue, que Breton prenait pour du je-m’en-foutisme, et son ironie modeste. Je vous conseille donc d’y jeter un oeil.

zero05

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